OBLIGATION DE CONSEIL DE L’ARCHITECTE : QUE FAIRE EN CAS DE DEPASSEMENT DE L’ENVELOPPE BUDGETAIRE ?

Dans un arrêt remarqué du 13 février 2025 (Cass. 3e civ., n° 23-16.780), la Cour de cassation rappelle fermement la responsabilité contractuelle de l’architecte en matière d’évaluation du coût des travaux et insiste sur l’importance de son obligation d’information et de conseil vis-à-vis du maître d’ouvrage.

Un arrêt particulièrement éclairant en droit de la construction, qui confirme que l’architecte ne peut pas ignorer un dérapage budgétaire significatif sans en tirer les conséquences, au risque de voir sa responsabilité engagée.

Dépassement de budget dans une mission complète de maîtrise d’œuvre

Dans cette affaire, un couple confie à un architecte une mission complète de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation et l’extension d’une maison.
Le coût estimatif des travaux est fixé à 350 000 € HT, et les honoraires de l’architecte à 12 % du montant final, soit 42 000 € HT. Le contrat porte sur 135 m² à rénover et 80 m² à construire, soit 215 m² au total.

Mais lors de la consultation des entreprises, le coût des travaux explose : 586 298,86 € HT, soit plus de 700 000 € TTC.

Malgré ce dépassement budgétaire de plus de 55 %, l’architecte continue d’émettre ses factures sur la base de l’estimation initiale, sans alerter formellement ses clients.

Les maîtres d’ouvrage, découvrant l’ampleur du dépassement, résilient le contrat. L’architecte engage alors une action en paiement ; les maîtres d’ouvrage répliquent par une demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

Une condamnation fondée sur le manquement à l’obligation de conseil

La Cour d’appel rejette la demande de paiement de l’architecte et le condamne à verser 8 750 € au maître d’ouvrage.
La Cour de cassation confirme cette décision, en rappelant les principes suivants :

  • L’enveloppe financière convenue était de 378 000 € HT ;

  • Le coût final dépasse cette enveloppe de plus de 55 %, bien au-delà de la marge d’erreur tolérable en jurisprudence (en général 10 %) ;

  • Les demandes techniques supplémentaires des clients ne peuvent leur être reprochées, ceux-ci étant profanes en matière de construction ;

  • L’architecte aurait dû alerter le maître d’ouvrage par écrit sur les conséquences financières de ces choix.

Le manquement à l’obligation d’information et de conseil est donc clairement caractérisé.

Ce que dit la jurisprudence

1. Une tolérance budgétaire plafonnée à 10 %

Selon une jurisprudence constante, un écart de plus de 10 % entre l’estimation initiale et le coût final est susceptible d’engager la responsabilité de l’architecte, sauf alerte claire. ( Cass. 3e civ., 29 septembre 2015, n° 13-19.923)

2. Informer le maître d’ouvrage, une obligation clé

Ce n’est pas le dépassement en soi qui entraîne la responsabilité, mais le défaut d'information.

Dans un arrêt de 2021, l’architecte n’a pas été condamné malgré une dérive de 4 millions d’euros, car le maître d’ouvrage avait été régulièrement informé et avait validé les ordres de service. (Cass. 3e civ., 27 mai 2021, n° 19-16.657)

Conclusion : une vigilance accrue sur le respect de l’enveloppe financière

Cet arrêt du 13 février 2025 illustre la sévérité croissante de la jurisprudence envers les professionnels de la maîtrise d’œuvre lorsqu’ils ne maîtrisent pas, ou ne communiquent pas, l’évolution financière du projet.

Même si les dommages-intérêts accordés (8 750 €) sont faibles comparés au surcoût de plus de 200 000 €, l’enjeu réputationnel et contentieux est bien réel pour les architectes.

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RECEPTION DES TRAVAUX : UN ENJEU CRUCIAL DANS LE DOMAINE DE LA CONSTRUCTION